Gaspard Chevallier
Nouvelle écrite dans le cadre d'un concours dont le sujet était: "un cadavre dans la montagne Saint-Jacques" avec pour obligation d'inclure les mots: olympien, logistique, Alexandre Dumas, manichéen Juin 2024
Et si c’était vrai…
Frédéric est nerveux. Cela fait au moins vingt fois qu’il consulte sa montre et l’écran de son téléphone portable. Toujours pas de message, alors que l’heure tourne. Que fait-elle ? Viendra-t-elle ? Telles sont les questions qui le hantent.
« Elle » c’est Virginie, l’incontestable reine du lycée. Reine par sa beauté, et tout ce qu’elle dégage. Car Virginie n’est pas seulement jolie, elle est aussi sympathique, avenante, gentille, et c’est également pour cela que tous les garçons de son entourage en sont amoureux. Frédéric ne déroge pas à la règle.
Le jeune homme est arrivé à Cavaillon il y a quelques mois, dans les bagages de son père, « muté » en Provence par son employeur, une multinationale spécialisée dans la logistique. L’adaptation fut difficile, Frédéric aux origines bretonnes, a la peau blanche et les cheveux très roux. Les surnoms de « poil de carotte », « galinette » ou comparaison telle que « blanc comme un postérieur » (les jeunes emploient un autre terme nettement plus colloquial) se sont vite fait entendre dans les travées du lycée. Certains l’ont même mis en garde de ne jamais s’aventurer dans la Garrigue en été, sous peine d’y mettre le feu…à cause de ses cheveux incandescents !
Et puis Virginie est arrivée, et avec elle les envies de départ de Frédéric se sont enfuies. Elle l’a défendu corps et âme contre toutes ses moqueries, ce qui a fait que le néoprovençal est passé de souffre-douleur, à nouvelle mascotte du lycée. Maintenant, Frédéric est respecté, même si on s’amuse toujours à lui déconseiller de mettre les pieds dans la garrigue…
Et pourtant, c’est bien dans un petit morceau du Lubéron, au nom d’un apôtre du Christ, que nos protagonistes se sont donnés rendez-vous, aujourd’hui. Même si Frédéric en meurt d’envie, la rencontre n’a rien d’amoureuse. Les deux adolescents doivent confectionner un herbier, dans le cadre de leurs cours de sciences et technologie, et quoi de mieux que la colline Saint-Jacques pour satisfaire leurs attentes.
Le jeune homme pense que le temps passera plus vite s’il commence à chercher, sans attendre son amie. Thym, romarin, chardons, lavande sauvage sont les végétaux qu’il dépose soigneusement dans son sac à dos, faisant office de besace. Accroupis à la recherche d’une plante cochée sur sa liste, un corps se fait sentir dans le dos de l’adolescent, puis lui assène un petit coup de pied dans le derrière. Frédéric se retrouve les quatre fers en l’air, découvrant que l’auteur du coup de pied n’est autre que l’objet de ses fantasmes.
- Tu m’as fait une de ces peurs ! dit-il.
- Hahahahah, la tentation était trop forte. Puisque tu cherches des pédoncules, alors quoi de mieux qu’un pied dans le cul, s’exclame la jeune fille hilare avec son accent chantant.
- Alors là, vraiment très drôle. J’adore l’humour provençal. Plutôt que de t’excuser pour ton retard, tu me bottes le derrière, c’est sympa à toi.
- Bon, désolée de t’avoir fait attendre, mais quand j’ai vu cette « chose humaine » au milieu de toute cette végétation et bien…je n’ai pas pu résister, que veux-tu !
- Ce que je veux, c’est que tu m’aides à compléter l’herbier maintenant ! J’ai déjà bien avancé, il ne nous manque plus que les genets.
- Mettons-nous en route tout de suite alors, conclut l’adolescente.
Dans une ambiance bon enfant, les écoliers vont parcourir la colline, à la recherche des dernières feuilles pour compléter leur herbier. Frédéric était déjà fou d’elle, et ce délicieux moment passé ensemble dans cette si belle nature, ne fait qu’accentuer le phénomène. En ce début de matinée du mois de juin, malgré les cigales qui s’en donnent à cœur joie, il règne un calme olympien dans la montagnette, jusqu’au moment où….
- Nonnnnnnnn mais qu’est-ce que c’est ? Fred viens voir ça tout de suite !
- Tu as vraiment décidé de me faire peur ce matin, qu’est-ce qu’il y a encore ?
- Regarde ! crie la jeune fille en montrant deux pieds recouverts de terre.
- Ce sont deux chaussures et alors ?
- Mais non !!C’est un cadavre, renchérit Virginie la voix tremblante.
- Quelle imagination ! C’est certainement un mannequin.
Les deux adolescents, en l’espace d’une matinée, vont se transformer en archéologues, retirant soigneusement feuilles et terre recouvrant leur découverte. Une fois leur labeur terminé, c’est la stupeur…
- C’est bien le corps d’une personne, déclare Frédéric brisant le silence qui avait accompagné la fouille.
- Mais oui, je te l’avais dit. Quelle horreur !
- Et maintenant que fait-on ? On retire la cagoule ? demande Virginie pointant du doigt la
tête du corps masquée par une toile.
- Au point où on en est, allons-y ! réplique le jeune homme s’agenouillant à côté de la
dépouille, afin d’enlever délicatement le tissu, qui cachait son visage…
À ce moment précis, toute la Provence a certainement entendu les hurlements que viennent de pousser les deux compères, depuis leur colline Saint-Jacques.
- C’est pas possible, c’est pas possible, dis-moi que je rêve, Fred ?
- Incroyable, incroyable, c’est hallucinant !!
- Je n’ai plus de voix…mais comment ? Tu crois que c’est bien lui ?
- Pas de doute, c’est lui.
- Mais pourquoi ici ? Si loin de….
- Aucune idée. Certainement parce qu’il fallait aller le cacher très très loin.
- Oui, mais alors pourquoi Cavaillon ?
- Ben justement, parce que c’est très loin.
- Elle est vraiment folle cette histoire.
- Oui, c’est complètement fou.
- Personne ne va nous croire, quand on va raconter tout ça. Prends des photos Fred. Moi je
n’en ai pas la force.
L’adolescent sort alors son portable, et mitraille sous tous les angles la dépouille sans vie.
- En quittant ma Bretagne, il y a quelques mois, je ne me serais jamais attendu à avoir des sensations si fortes, ici. Tu réalises qu’en faisant notre herbier ce matin, nous avons découvert, ni plus ni moins…que le cadavre de Vladimir Poutine !
- Et comment ! Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ? demande la jeune fille.
- Soit on dit rien, on remet le corps comme on l’avait trouvé, et on garde tout ça pour nous,
un peu égoïstement certes, mais ça peut se comprendre... Soit on raconte notre découverte.
- Pfff je sais pas moi, quel est ton avis ?
Alors que les deux écoliers tergiversent sur le choix manichéen qu’ils doivent faire, deux individus en tenues paramilitaires et masqués se présentent dans leur dos, puis posent des mouchoirs imbibés de gaz soporifique sur leur nez, les plongeant ipso facto dans un profond sommeil.
Le réveille-matin vient de sonner dans la chambre de Frédéric.
« Ce n’était qu’un cauchemar » chuchote l’adolescent, la tête quelque peu engourdie. « Mais quel cauchemar ! Complètement surréaliste » continue-t-il de penser à voix haute.
Son cœur balance entre un certain soulagement, se rendant compte que ces effroyables faits ne sont en fait jamais arrivés, mais aussi quelques regrets. Vivre une telle histoire avec Virginie, dont il est si amoureux, cela créé forcément des liens.
Sur sa table de chevet, trône la collection complète des romans d’Alexandre Dumas. Peut-être était-ce l’une des histoires rocambolesques contées par le dramaturge, qui a influencé son songe ?
Mais le rêve était si réel, que Frédéric continue de douter. Et si ce n’en était pas un ? Par acquit de conscience, il saisit son téléphone portable pour faire défiler les photos de sa galerie. Cependant sur aucune n’apparaît l’image du cadavre. « J’ai bien rêvé » pense alors le jeune homme, alors qu’une voix familière le ramène à la réalité.
- Frédéric à table ! dit la mère de l’adolescent.
Comme à l’accoutumée le samedi midi, la petite famille va s’attabler face au téléviseur alors que débute le générique du sacro-saint journal de 13h00.
« Stupeur au Kremlin et dans le monde entier, le président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, est mort cette nuit, de cause pour l’instant inconnue ».
Alors que Frédéric reste bouche baie en écoutant cette Une, au même moment, une petite sonnerie retentie sur son téléphone, annonciatrice de l’arrivée d’un message, en provenance de Virginie.
Le garçon devenu livide à la lecture du texto, a beau se frotter les yeux, se pincer pour sortir d’un éventuel songe, mais cette fois-ci, il ne rêve plus.
« Tu as vu ce que j’ai vu à la télé ? Alors, on leur raconte ce qu’on a trouvé dans la colline ? ».